A l’aube de deux séquences électorales déterminantes pour l’avenir de notre pays, en 2021 les élections départementales et régionales et en 2022 les élections présidentielle et législatives, la FSU Occitanie (Fédération Syndicale Unitaire) a souhaité éclairer le débat politique en portant ses propositions et ses analyses.

La Région Occitanie affiche une politique éducative numérique au motif d’une ”formidable opportunité à saisir pour favoriser l’acquisition des connaissances chez les jeunes” (extrait du préambule du Contrat de cession de l’Ordi). Or les travaux issus de la recherche universitaire montrent que, si l’utilisation d’outils numériques peut être utile dans certaines situations et apprentissages, elle est loin de l’être systématiquement : même dans les domaines de la production, le numérique a ses limites, ne permettant par exemple pas aux élèves d’apprécier les qualités propres d’un matériau.

Le numérique est donc un support, un outil, pas une pédagogie en soi. Il est pourtant trop souvent présenté comme une panacée, un levier de modernisation miraculeux, qui conduit à en faire une solution privilégiée, alors même que les questions pédagogiques mais aussi sanitaires et environnementales, voire économiques, qu’il soulève ne sont jamais réellement posées. Lorsque les questions pédagogiques le sont, elles ne font pas l’objet d’échanges avec les premiers utilisateur-trices de ces outils par les professionnel-le-s des apprentissages scolaires que sont les professeur-e-s. L’impact écologique et environnemental de l’utilisation intensive du numérique doit quant à lui être interrogé : utilisation de matières premières rares, consommation énergétique, recyclage…

La crise sanitaire et la période du confinement offrent l’occasion unique de tirer un bilan critique sérieux de l’utilisation massive du numérique à grand échelle et très haute dose. Elles ont amplement démontré, au-delà de la question des équipements, que les processus d’apprentissages ne mobilisent pas les mêmes compétences chez les élèves que pour des apprentissages dans un cadre plus traditionnel, ce qui mène à une perte de repères préjudiciable au rituel de ces apprentissages. Ainsi, l’acquisition de la maîtrise préalable des outils numériques dans leur diversité consomme un temps important, qui est retiré à l’étude proprement dite des objets disciplinaires prévus par les programmes. Trop d’élèves consacrent ainsi beaucoup de ressources (temporelles et intellectuelles) à acquérir la maîtrise technique des outils, et peuvent délaisser par contrecoup l’investissement à faire sur les notions devant réellement faire l’objet des apprentissages. Cette maîtrise, par nature rapidement obsolète, ne peut tenir lieu d’objectif d’apprentissage en soi.

Numérique : un outil inégalitaire, loin d’une panacée

En outre, les implicites pédagogiques, cause importante d’inégalités et d’échec scolaires, ne sont pas levés plus facilement au travers du numérique, du fait de distance qui s’installe entre le professeur et les élèves dans le cadre d’apprentissages à distance (ou déportés à l’extérieur de la classe) : cela conduit presque immanquablement à un renforcement des inégalités scolaires, entre les élèves qui, de par leur origine sociale, maîtrisent ces implicites, et les autres. Cela n’enlève rien à l’effort de réduction de la fracture numérique. Sur un plan plus général, l’apprentissage au travers d’outils numériques porte une
promesse bien illusoire d’individualisation des apprentissages. Outre que cette individualisation apparente va à l’encontre des apprentissages fondamentaux à la vie sociale, au débat et la rencontre de l’autre, qui sont aussi au cœur des missions de l’École, elle ne peut pas être correctement traitée et suivie par les enseignants : si l’outil informatique, sous conditions strictes, peut parfois permettre l’identification diagnostique de certaines difficultés des élèves, la remédiation individuelle n’est guère
possible, sauf à accroître massivement la charge de travail de l’enseignant, déjà très lourde, ou à nécessiter des effectifs de classe hors de portées budgets actuels.

Enjeux économiques et déontologiques

Compte-tenu du fait que les enjeux stratégiques, économiques et déontologiques autour des données numériques personnelles des élèves, des personnels (résultats des évaluations, données sensibles, etc.) et du contenu même des formations (cours, dispositifs, etc.) sont désormais une réalité, la FSU prône le développement de solutions assurées par le Service public ainsi que l’utilisation et la promotion des logiciels libres au sein de l’Education nationale afin de garantir l’indépendance et la neutralité des traitements opérés sur les données des agent-e-s et des élèves. La FSU demande la création de serveurs et d’espaces de stockage numériques dédiés, publics, fiables, respectueux du Règlement Général de la Protection des Données (RGPD), afin qu’y soient stockées les données scolaires même lorsque des solutions numériques privées sont utilisées dans des établissements.

Le matériel employé doit permettre aux enseignants et aux élèves de travailler dans de bonnes conditions. Le principe de gratuité doit être respecté afin que l’investissement ne soit pas à charge des familles : la FSU dénonce le caractère socialement discriminant des pratiques basées sur des démarches de type BYOD (Bring your own device) ou AVAN (Apportez votre appareil numérique). Cela inclut les questions de maintenance des équipements lorsqu’ils sont fournis à titre personnel, dont il ne saurait être question que les familles comme les personnels en aient la charge.
En outre, la fourniture des équipements personnels ne doit pas occulter les nécessaires investissements “en dur” pour installer et maintenir un matériel récent et en bon état de fonctionnement dans les établissements scolaires.

Liberté pédagogique

Les outils utilisés, applications, manuels scolaires ne doivent pas être imposés par les collectivités territoriales mais relever du choix des enseignant-e-s. Si le rôle des Inspecteurs Pédagogiques peut être de s’assurer de la conformité aux programmes des manuels (en particulier numériques) employés, il ne peut être celui d’interlocuteur-trice unique de la Région, pas plus qu’ils ne peuvent devenir les seuls prescripteurs en matière de logiciels, manuels, etc. Le choix de la Région de permettre le déploiement
de manuels numériques nécessite qu’un bilan contradictoire sérieux soit conduit, à partir des retours des utilisateur-trice-s, aussi bien professeur-e-s qu’élèves, qui ont pu les expérimenter. Concernant ces derniers, la FSU rappelle la rigidité et le coût de l’achat et du renouvellement des licences auprès d’éditeurs scolaires qui n’ont pour le moment le plus souvent pas développé des manuels numériques à fortes plus-values pédagogiques, allant par exemple au-delà de l’affichage sur écran d’une reproduction
du manuel papier. La FSU relève que les manuels numériques ont une durée de vie qui peut s’avérer plus courte que les manuels papier, dont le prolongement peut être plus aisé et à coût moindre.

Nos demandes :

La FSU demande :
– que le cahier des charges définissant les conditions d’attribution du label “lycée numérique” fasse l’objet d’une concertation impliquant réellement et largement les personnels éducatifs, et pas simplement les responsables institutionnel-les ;
– que l’avis des personnels des établissements soit pris en compte avant toute décision de labellisation et de dotation d’équipements : information préalable afin que le vote en Conseil d’Administration soit éclairé, consultation en amont ; évaluations régulières par les personnels et usagers ;
– que l’installation de bornes Wifi dans les lycées fasse l’objet d’un vrai débat avec les personnels des lycées, et les parents des élèves ;
– que les personnels soient associés aux évolutions de l’ENT afin que celles-ci répondent à leurs besoins et ne soient pas imposées sans concertation.

La FSU renouvelle sa demande d’un bilan contradictoire de l’utilisation des manuels numériques, associant les personnels et les lycéens.

La FSU demande enfin à la Région de ne s’engager, dans le cadre des outils numériques qu’elle propose et leur maintenance, dans aucune forme d’externalisation (partielle ou totale, ou sous forme de Partenariat Public-Privé – très coûteux et bien souvent au profit principal du partenaire privé – comme d’autres collectivités ont pu le faire). Elle demande au contraire le développement de l’emploi public sous statut de fonctionnaire, dans ces domaines, notamment pour garantir la maîtrise des dépenses, des données personnelles et des contenus.

 

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