Droits des femmes
Après les formidables mobilisations des années 60-70, les droits des femmes ont du mal à progresser, les violences qu’elles subissent continuent à défrayer la chronique, les mouvements réactionnaires font plus que jamais la preuve de leur pouvoir de mobilisation. Comment la LDH soutient-elle les mouvements féministes ?
Françoise Dumont : Nous travaillons régulièrement avec des associations comme le CNDF (collectif national pour les droits des femmes ou le Planning familial que nous avons soutenu lorsque son existence a été menacée par une diminution des subventions. Pour nous, la bataille pour le droit à la contraception et à l’avortement ne doit jamais être considérée comme définitivement gagnée car il existe effectivement dans ce pays des forces réactionnaires qui n’ont pas déclaré forfait. Elles se manifestent régulièrement.
Par ailleurs, nous avons un groupe de travail « femmes, genre, égalité » qui se réunit tous les mois, et contribue à la réflexion de la Ligue sur ces questions. Il a notamment produit un argumentaire sur la notion de genre en montrant l’instrumentalisation qui a pu en être faite. Nous avons beaucoup regretté que l’Éducation nationale abandonne les ABCD de l’égalité.
Et au plan international, en particulier dans les pays en guerre ?
Le champ d’intervention de la Ligue est essentiellement la France. Elle est néanmoins membre fondatrice de l’AEDH ( association européenne des droits de l’Homme) et de la FIDH (Fédération internationale des droits d l’Homme) qui, elle , intervient au plan international.
Droits de l’enfant à l’éducation
Nous savons que tu t’es préoccupée des droits de l’enfant. Les études font apparaitre d’énormes écarts entre les revenus des familles et les acquis des enfants issus des milieux pauvres et ceux qui sont issus de familles bien loties. Les inégalités de l’offre éducative tendent à accentuer les différences. Est-il exact que l’égalité d’accès à l’éducation n’est pas vraiment respectée dans notre pays ?
F.D. :La France est le pays de l’OCDE où les origines sociales déterminent le plus les parcours scolaires. C’est une réalité qu’aucun gouvernement n’a jamais prise à bras le corps et ce n’est sûrement pas en parlant « d’égalité des chances » qu’on remédiera au problème. Compte tenu de mon parcours professionnel et syndical, je suis effectivement particulièrement sensible à cette question.
Par ailleurs, la Ligue est une association généraliste – c’est même sa spécificité- et à ce titre, elle défend l’accès pour toutes et tous à l’ensemble des droits de sociaux. Des enfants mal logés, mal soignés, qui vivent dans la précarité, sont forcément handicapés dans leur scolarité. N’oublions pas que 3 millions d’enfants vivent aujourd’hui en dessous du seuil de pauvreté.
Nous agissons aussi pour que tous les enfants qui résident sur le territoire français soient effectivement scolarisés. C’est un droit mais c’est extrêmement difficile pour certains d’entre eux. Je pense aux enfants en situation de handicap, aux mineurs isolés mais aussi aux enfants Roms que trop de maires refusent encore d’inscrire à l’école…
Droit du travail
Peut-on dire que le projet de loi El Khomri impose de nouveaux reculs au droit au travail en accentuant la subordination des salariés ? L’accès au travail des jeunes est une condition de l’accès au logement. On est loin du compte…
F.D. :Nous nous sommes peu exprimés sur la loi El Khomri pensant que les organisations syndicales avaient davantage de légitimité que nous pour le faire. Son caractère néolibéral est incontestable et il est clair que l’opposition à cette loi interpelle pour le moins la qualité du dialogue social dans ce pays.Les craintes manifestées par la jeunesse montrent à quel point celle-ci se sent maltraitée, ballottée de stage en stage, de visite à Pôle emploi en CDD. Elle n’a pas oublié que François Hollande avait promis de faire de la jeunesse sa priorité. Elle a l’impression d’avoir été dupée et a raison de le faire savoir. La répression policière dont elle est victime est inadmissible.
Droits des migrants
Encore marqués par le caractère indigne de l’accueil que subirent les républicains espagnols dans notre région. L’histoire bégaie avec les foules qui fuient les guerres du moyen orient et la manière dont l’UE tend à traiter le problème. La LDH est-elle investie sur cette question ?
F.D. :Bien sûr. Le respect du droit d’asile fait partie des fondamentaux de la Ligue. Ce droit ne cesse d’être mis à mal par la France mais aussi par la plupart des états membres. Le traitement de la vague de réfugiés par les instances européennes met en lumière le manque de projet politique commun qui fait aujourd’hui de l’Europe une association qui ne repose que sur les petits intérêts économiques de chacun.
Il illustre aussi le combat engagé entre les valeurs universelles sur lesquelles le projet européen était censé se construire et la montée de populismes réactionnaires qui, élection après élection, trouvent des relais jusque dans les gouvernements de plusieurs États-membres. Le combat que nous menons en France sur l’accueil des migrants est donc pleinement inclus dans un combat à dimension européenne.
Etat d’urgence
Enfin en tant que syndicaliste, après la condamnation des Goodyears, l’affaire des chemises d’air France, l’interpellation de militants lors de la COP 21, nous sommes de plus en plus inquiets de la répression d’état qui s’abat sur ceux qui contestent l’ordre actuel. Les pouvoirs ont toujours eu tendance, surtout dans des situations tendues, à jouer sur les peurs pour étendre leur domination. L’état d’urgence, outre son inefficacité à lutter contre le terrorisme semble suivre cette voie. Quelles en sont selon toi les dispositions les plus graves ?
F.D. :Nous avons été les premiers à mettre en garde contre toute prorogation de l’état d’urgence et nous l’avons fait à un moment où ce discours était quasiment inaudible. Nous avons sur le plan juridique, en déposant des recours, en soutenant des personnes abusivement perquisitionnées ou assignées à résidence. Nous nous sommes aussi adressés à l’opinion publique, notamment en multipliant les débats et les interpellations des parlementaires. Globalement, nous dénonçons le déséquilibre créé entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Les Français ignorent trop que les mesures mises en place dans le cadre de l’état d’urgence sont pratiquement les mêmes que celles autorisées par les lois ordinaires mais depuis novembre, elles sont ordonnées par des préfets qui sont, statutairement, des fonctionnaires aux ordres de l’exécutif.
Ce pouvoir a oublié que le juge judiciaire est constitutionnellement le garant des libertés individuelles. Nous sommes là pour le lui rappeler et pour montrer que les incitations à sacrifier les libertés au nom d’une hypothétique sécurité relèvent d’un marché de dupes.
Conclusion
Devant la multiplication des situations d’une gravité inégalée, quels dossiers te paraissent prioritaires ?
F.D. : Nul n’ignore que la campagne présidentielle est lancée et lorsque nous entendons un premier ministre dire que qu’elle se fera autour de la question de « l’identité culturelle et politique » du pays, nous sommes inquiets. Encore un petit effort, et nous retrouverons le débat sur l’identité nationale !
Nous n’oublions pas non plus que l’extrême droite attend son heure et que celle-ci pourrait être venue. Notre combat vis-à-vis de l’idéologie qu’elle véhicule, quelles que soient les contorsions de sa présidente, va donc continuer, mais nous ne pouvons nous contenter d’une posture essentiellement défensive.
L’état d’urgence a mis en évidence des dérives, des postures autoritaires, qui ont montré à quel point la question du fonctionnement démocratique de ce pays est prioritaire. C’est un sentiment partagé par beaucoup de nos concitoyens , les « Nuit debout » en sont une des illustrations. Nous voulons contribuer à faire avancer ce débat, à partir de ce que nous sommes – c’est à dire une association politique et non pas un parti politique chargé d’élaborer un projet de société- et à partir des valeurs que nous portons depuis 1898, date de notre création.
Source: fsu11